J’ai édité 3 Tomes d’une anthologie poétique intitulée : « La poésie est l’origine du sacré »  (Octavio Paz)
Ces livres sont d’abord un hommage à mon père, mon mentor en poésie et à mes maîtres de l’école républicaine.
Quelques poèmes que vous trouverez dans les anthologies

René Char : 

René Char 
(L’Isle-sur-la-Sorgue, 1907 – Paris, 1988)

René Char : 1907-1988, un des plus grands poètes de langue française du XXème siècle. Durant les années 1939-1944 de l’Occupation, René Char, sous le nom de capitaine Alexandre, participe activement à la Résistance.

CHANSON DES VILLES

 Mes villes en sang

Mes villes fusillées

Mes villes bâillonnées

 Ça fait si mal

Ça fait si mal

 C’est Guernica c’est Varsovie

Hiroshima ou c’est Paris

Cette Alésia du sang partout

C’est Stalingrad c’est Diên Biên Phu

C’est Diên Biên Phu

 Mes villes ouvertes

Mes villes inertes

Mes villes bombardées

Mes villes cloisonnées

 Ça fait si mal

Ça fait si mal

 Milliers d’otages dans le silence

C’est toi Carthage c’est Numance

C’est Entremont ce requiem

Un autre nom Jérusalem

Jérusalem

Mes villes en armes

Mes villes en larmes

Mes villes mitraillées

Mes villes mutilées

 Ça fait si mal

Ça fait si mal

 Et les villages oh mes amours

Tant de carnages comme Oradour

Quels sont ces cris ces trahisons

Oh mes amis oh ma maison

Oh ma maison

 Ma ville orgueil

Ma ville en deuil

Un homme l’a sauvée

Ma ville délivrée

 Noubliez pas

Noubliez pas

LA PAROLE EN EXIL


Les Dieux sont de retour, compagnons.
Ils viennent à l’instant de pénétrer cette voie.
Mais la parole qui révoque
Sous la parole qui déploie
Est réapparue elle aussi,
Pour ensemble nous faire souffrir.
ALLÉGEANCE

ans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l’aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas?
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L’homme de l’espace

« L’homme de l’espace dont c’est le jour natal sera un milliard de fois moins lumineux et révèlera un milliard de fois moins de choses cachées que l’homme granité, reclus et recouché de Lascaux, au dur membre débourbé de la mort. » 1959

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RENCONTRES AVEC RENÉ CHAR

Août 1960 discussion avec Jean Pénard
 « Le ton se hausse à propos de la guerre d’Algérie. René Char est d’une extrême sévérité pour les journalistes et écrivains qui ne pèsent pas le poids de leurs propos. Il cite nommément Francis Jeanson et surtout Sartre, dont le silence et l’inactivité entre 1940 et 1944 ne pourront échapper à sa petite histoire.
Il n’est pas tendre, non plus, pour « Le Monde ». Il oppose leur frivolité au sérieux de la Résistance (du moins celle qu’il a connue), où la moindre imprudence entrainait la mort et des morts. Il évoque ce maquisard de Provence, issu d’une humble famille, et qu’on avait chargé d’abattre un dangereux milicien. Il le retrouve dans une petite ville. Il attend qu’il soit seul, pour être sûr qu’il soit seul exécuté. Le milicien entre dans le cinéma. Il en ressort en tenant sa femme devant lui. Le maquisard ne tire pas, mais le milicien, protégé dans ces conditions hideuses, n’hésite pas et l’abat à bout portant.
« Voilà, dit René Char, un bel exemple de responsabilité. Trop de nos intellectuels s’abritent sans risque derrière la liberté de conscience et d’expression. Il serait plus honorable pour eux – comme d’autres l’ont fait – de rejoindre le FLN, et de s’exposer physiquement. Pendant ce temps, nos jeunes soldats en Algérie, qui sont de pauvres innocents, meurent par procuration de la main de ceux qui connaissent l’existence de tels boucliers. Je refuse, quant à moi, de signer tout manifeste, qu’il soit d’un bord ou de l’autre. Dans les cas concrets, cependant, j’interviens selon ma conscience. La fille de Georges Bataille a été arrêtée comme facteur de fonds pour le FLN. J’ai fais ce que j’avais à faire et elle a été élargie. Mais en aucun cas je n’écrirai, ne parlerai et n’agirai dans l’abstrait. La grande tentation des intellectuels, depuis Rousseau, c’est l’extrémisme. C’est ce qu’ils appellent « aller jusqu’au bout des idées ». Je suis viscéralement contre cela, qui mène droit au crime. Il ne faut prononcer, ni à plus forte raison proférer aucun mot qui puisse entrainer des morts sans justification. Je répète que la légèreté de certains, dans ce domaine, est et sera inadmissible. Je n’aime pas les porteurs de valises, réelles et surtout cérébrales. »

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Dialogue entre René Char et son ami Paul Veyne.

Un an plus tôt René m’avait dit : « L’extravagant est né de la conscience souffrante d’avoir fait exécuter deux traîtres pendant la Résistance » (….  Il m’avait parlé une autre fois de certains remords qui, depuis la guerre, le tourmentaient le soir ; comme il est injuste, lui dis-je, que ceux qui ont passé la guerre dons leurs pantoufles vivent en paix avec eux-mêmes, le moindre adjudant qui a fait tuer tous ses hommes meurt dans la bonne conscience du devoir accompli ; et ceux qui, eux, ont fait quelque chose et ont donc pris le risque de se tromper quelquefois sont condamnés aux remords. René haussa les épaules avec fatalisme devant ce constat trop évident. Il ajouta curieusement que ses remords venaient du caractère inexplicable de ces trahisons.

Or, en une autre saison, René m’avait raconté l’histoire d’un maquis vauclusien vendu à la Gestapo par un dénonciateur ; cinquante jeunes hommes furent fusillés et le mouchard, qui était présent, recevait autant de fois la prime promise pour chaque dénonciation. « Comment concevoir une pareille horreur ? » demandai-je ?

-Mais, Paul Veyne, c’est très simple : comprenez donc que, dès qu’une guerre commence, une vie ne vaut plus rien ; on la boit comme un verre d’eau. S’il n’y avait pas eu la guerre, ce traître n’aurait probablement rien fait de plus en toute sa vie qu’un peu d’escroquerie ou de chapardage . »

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 LES INVENTEURS

 
Ils sont venus, les forestiers de l’autre versant, les inconnus de nous,
les rebelles à nos usages.
Ils sont venus nombreux.
Leur troupe est apparue à la ligne de partage des cèdres
Et du champ de la vieille moisson désormais irrigué et vert.
La longue marche les avait échauffés.
Leur casquette cassait sur les yeux et leur pied fourbu se posait dans le vague.
Ils nous ont aperçus et se sont arrêtés.
Visiblement ils ne présumaient pas nous trouver là,
Sur des terres faciles et des sillons bien clos,
Tout à fait insouciants d’une audience.
Nous avons levé le front et les avons encouragés.
Le plus disert s’est approché, puis un second tout aussi déraciné et lent.
Nous sommes venus, dirent-ils, vous prévenir de l’arrivée prochaine de l’ouragan,
de votre implacable adversaire.
Pas plus que vous, nous ne le connaissons
Autrement que par des relations et des confidences d’ancêtres.
Mais pourquoi sommes-nous heureux incompréhensiblement devant vous et soudain pareils à des enfants?
Nous avons dit merci et les avons congédiés.
Mais auparavant ils ont bu, et leurs mains tremblaient, et leurs yeux riaient sur les bords.
Hommes d’arbres et de cognée, capables de tenir tête à quelque terreur
Mais inaptes à conduire l’eau, à aligner des bâtisses, à les enduire de couleurs plaisantes,
Ils ignoraient le jardin d’hiver et l’économie de la joie.
Certes, nous aurions pu les convaincre et les conquérir,
Car l’angoisse de l’ouragan est émouvante.
Oui, l’ouragan allait bientôt venir;
Mais cela valait-il la peine que l’on en parlât et qu’on dérangeât l’avenir?
Là où nous sommes, il n’y a pas de crainte urgente.
LE TERME ÉPARS
Si tu cries, le monde se tait: il s’éloigne avec ton propre monde.
Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée.
Qui convertit l’aiguillon en fleur arrondit l’éclair.
La foudre n’a qu’une maison, elle a plusieurs sentiers. Maison qui s’exhausse, sentiers sans miettes.
Petite pluie réjouit le feuillage et passe sans se nommer. Nous pourrions être des chiens commandés par des serpents, ou taire ce que nous sommes.
Le soir se libère du marteau, l’homme reste enchaîné à son coeur.
L’oiseau sous terre chante le deuil sur la terre.
Vous seules, folles feuilles, remplissez votre vie.
Un brin d’allumette suffit à enflammer la plage où vient mourir un livre. L’arbre de plein vent est solitaire. L’étreinte du vent l’est plus encore.
Comme l’incurieuse vérité serait exsangue s’il n’y avait pas ce brisant de rougeur au loin où ne sont point gravés le doute et le dit du présent. Nous avançons, abandonnant toute parole en nous le promettant.

LASCAUX

« L’homme de l’espace dont c’est le jour natal sera un milliard de fois moins lumineux et révèlera un milliard de fois moins de choses cachées que l’homme granité, reclus et recouché de Lascaux, au dur membre débourbé de la mort. »
 Mme Aun, Survivante du régime des Khmers rouges — Cambodge

Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté.
Toute la place est pour la beauté
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Andrée Chédid

Ainsi va le monde

Ainsi va le monde

Soulevé par l’amour

Rompu par les haines

Formé d’argile et d’étincelles

Inflexible Malléable

Happé par les chimères

Ligoté par le temps

Fait de pesanteur et d’ailes

Esclave ou maître

De son cri

Ainsi va le monde

Si profane Si magique

En sa gamme d’aube et d’ombres

Tantôt agneau

Tantôt ennemi


La Vérité

La Vérité n’est que mensonge

Tenace mirage des vivants

Elle trompe nos vigilances

Et pétrifie le temps.

 La Vérité est en armes

L’interdit son aiguillon

Ses lois de bronze nous séparent

Ses mots ont murailles et plafonds

 La cible unique est un leurre

Les semences abondent

Les récoltes sont légions

 Saluons plutôt nos soleils transitoires

Nos paroles libres d’emblème

Nos chemins en chemin

Nos multiples horizons.

H.N. Bialik :

Pas destiné a chanter la guerre


 Dieu ne m’a pas destiné à chanter la guerre

L’odeur de la guerre est vraiment effrayante.

Je suis renforcé dans mes convictions,

lorsque j’entends le son des trompettes au loin, dans la vallée.

Entre la harpe et l’épée, je suis pour la harpe

Mais heureux l’homme puissant qui aide les travailleurs opprimés

Malheur au poète dont le cœur est dépravé et qui offre son chant aux cœurs endurcis.

Car que peut être un poème d’Israël en exil ? Un bourgeon faible, une rosé de lumière qui ne peut l’humidifier,

Une semence empoisonnée tombée dans de la boue

 putréfiée, brisée, déracinée et asséchée dans une cave


Ton souffle seigneur

Ton souffle, Seigneur, a frôlé mon visage

Et l’a enflammé.

Les cordes de mon cœur ont, un instant, vibré sous Tes doigts

Et j’ai rampé, muet, étouffant le tumulte de mon âme.

Mon cœur a défailli dans ma poitrine

Et mon chant ne s’est pas échappé de mes lèvres.

Avec quoi viendrais-je devant la sainteté ?

Comment purifier ma prière ?

Ma langue, Seigneur, est corrompue.

Point de mot qui n’ait été gâté jusqu’à la racine ;

Point de terme qui n’ait traîné dans les lupanars.

J’ai lâché un matin vers le ciel mes blanches colombes.

Elles me sont revenues le soir : des corbeaux orduriers,

Avec, dans leurs gosiers, des cris rauques,

Et dans leurs becs des viandes avariées.

Des mots m’ont investi, des mots retentissants.

Tel un peuple de saints, ils m’ont environné,

Brillant d’un faux éclat, beau d’une grâce mensongère.

Dans leurs yeux le fard rouge de l’ivresse ;

Bâtards de la plume et de l’idée –

Des mots infâmes, stupides et creux,

Qui poussent comme les orties et les chardons

Et on ne peut leur échapper.

Chaque jour, chaque jour leur puanteur d’égout

Assaille l’homme, qui vit retiré dans sa chambre.

Et cette odeur corrompt l’haleine de sa bouche,

Empêche son esprit d’atteindre à la pureté

Ou fuir ? Comment se soustraire à leur assaut ?

Quel séraphin viendra brûler ma bouche d’une pierre incandescente ?